Tribune - Quelle réaction de l’Europe face à Trump ? Agir plutôt que subir !
Retrouvez ma Tribune dans le journal La Tribune publiée ce matin : https://www.latribune.fr/idees/tribunes/opinion-quelle-reaction-de-l-europe-face-a-trump-agir-plutot-que-subir-1022342.html
Mercredi dernier, dans un véritable séisme pour l’ordre économique planétaire, Donald Trump a déclaré imposer des droits de douane généralisés, de 20 % sur tous les produits européens, 34 % sur les produits chinois, 24 % sur les Japonais, 26 % sur les Indiens, et plus généralement 10 % sur tous les pays du monde.
Il a justifié son action en affirmant que les droits imposés à l’Amérique seraient injustement élevés et nettement supérieurs à ceux pratiqués par les Américains eux-mêmes, en se fondant sur des calculs au mieux fumeux, au pire très inquiétants.
Pour l’Europe, il considère comme une sorte de barrière douanière le fait même de demander que les produits respectent des normes sanitaires, comme par exemple, que le chlore ne soit pas utilisé pour nettoyer des poulets. Il pousse le bouchon jusqu’à considérer que les lois européennes qui protègent les citoyens des abus des géants du numérique américain sont, elles aussi, des taxes imposées à l’Amérique. Et, dans un argument qui outrepasse toutes les normes de la mauvaise foi, il explique que la TVA serait une taxe à l’importation, alors même qu'elle s’applique à tous les produits, européens comme américains, et qu'elle ne désavantage en rien ces derniers.
Face aux premières mesures sur l'acier et l’aluminium annoncés par Trump, la Commission européenne avait prévu une réponse à ces 26 milliards de taxe en deux temps, avec un premier paquet de 8 milliards de dollars sur quelques produits symboliques, comme les Harley Davidson, suivi d'une deuxième vague prévue le 13 avril, une fois les États-Membres consultés sur les produits concernés.
A la suite des nouvelles annonces faites par Trump le mercredi 2 avril, la Commission a décidé de temporiser en repoussant au 13 mai ses contre-mesures. Mais dans une soudaine tentative un peu pathétique de stopper la surenchère, celle-ci a finalement proposé aux américains la suppression totale des droits de douane sur les produits industriels. Cette proposition a été immédiatement et sèchement refusée. Un camouflet.
Pourquoi cette approche timide, hésitante ? Parce que l’espoir derrière les portes à Bruxelles et à Strasbourg est que Trump "revienne à la raison”, et au plus vite. Ceci relève d’une faute d'analyse, selon laquelle Trump serait prêt à abandonner son projet, et souhaiterait avant tout négocier.
La première obsession de Trump est le déficit commercial en biens, et ce depuis les publicités politiques qu’il a publié dans les journaux américains pendant les années 80. Il est persuadé que ce déficit affaiblit la position hégémonique des Etats-Unis. Après avoir prévenu les américains qu'il faudrait se préparer à “de la douleur", il a annoncé qu'il ne reviendrait sur les droits de douanes qu'une fois le déficit commercial Américain entièrement neutralisé - c’est-à-dire jamais.
La Commission se trompe : quelques concessions accordées au président américain dans un geste de bonne volonté ne le fera aucunement changer d’avis. Comment imaginer qu'il s'agit ici d'une démarche de négociation, alors que Trump, fan autoproclamé des barrières tarifaires, adulateur de celui qu’il appelle le "Tariff King” William McKinley, a frappé de 10% même les pays qui présentaient un déficit commercial avec les Etats-Unis ?
Le seul revirement possible viendrait d’une hypothétique déroute du parti républicain aux élections de mi-mandat de fin 2026. Ou d’une reprise en main du Congrès par l’aile modérée du parti républicain. Aucun de ces scénarios n’est probable, tant le courant "MAGA” de Trump domine dans ce parti, et tant les tarifs ne sont plus un tabou chez la classe politique américaine.
Surtout, si les tentatives de négociation de la Commission sont vaines, c’est que le projet de Trump est beaucoup plus qu’une simple volonté de rééquilibrer le commerce international. C’est un projet de reconquête économique et industrielle - un projet de grand rapatriement de la production de tous les biens consommés sur le sol américain.
Ce nouveau projet, révélé mercredi dernier pour la première fois sous la formule de "Economic Independence Day", est une ambition pour l’Amérique qui, après avoir profité abondamment de la mondialisation, se replierait désormais sur elle-même tout en conservant son ascendance hégémonique sur le monde.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter son discours prononcé à Davos quelques jours après son investiture : “mon message à toutes les entreprises du monde est simple : venez fabriquer votre produit en Amérique. (...) Mais si vous ne fabriquez pas votre produit en Amérique, ce qui est votre droit, alors, très simplement, vous devrez payer des droits de douane – de différents montants, mais des droits de douane – qui feront affluer des centaines de milliards de dollars et même des milliers de milliards de dollars de recettes”.
Derrière ce grand rapatriement, se cache aussi un grand remplacement - celui de l'impôt sur le revenu par les droits de douane. Trump a pour ambition de faire payer l’état fédéral américain non pas par les américains eux-mêmes, mais par ceux qui voudraient commercer avec les Etats-Unis. Cela lui permettrait entre-temps de rompre avec les fondements même de l’état providence, où chacun contribue en fonction de ses moyens, pour instaurer un prélèvement qui pèserait au contraire bien plus sur les plus modestes que sur les plus riches.
Trump veut faire advenir aux Etats-Unis le monde rêvé des milliardaires, pour que ces derniers puissent s'approprier sans limite les ressources du monde, exploiter sans fin le fruit des efforts des travailleurs, et s’accaparer le pouvoir politique, avec 13 ministres de l’administration ayant un patrimoine dépassant le milliard de dollars. L’histoire retiendra sans doute ce 2 avril 2025 comme le début d’une ère nouvelle, celle d’une dé-mondialisation imposée par le président américain.
Dans ce contexte, quelle doit donc être la réaction de l'UE ?
D’abord, ajuster nos droits de douane à 20 % le plus tôt possible sur tous les produits américains - ni plus, ni moins, ni faiblesse, ni surenchère. Rien ne sert de tenter de faire revenir Trump sur sa décision : elle est irrévocable. Rechercher un compromis serait aussi inefficace qu’inacceptable. Refusons de chercher des compensations pour rééquilibrer un déficit commercial qui, en réalité, n’est pas déséquilibré - car les États-Unis sont immensément excédentaires en matière de services. Refusons de réviser à la baisse nos réglementations : ce serait nous plier à Trump et à ses stratèges, héritiers de la funeste école de Chicago, qui essayent de forcer l’Europe à renoncer à son modèle social pour opter pour un libéralisme débridé - un marché sans règles, et des revenus sans contribution aucune au bien commun national.
Ensuite, nous devons prendre acte que le doux commerce n’existe pas. Cette théorie, avancée par Montesquieu et ensuite développée par les économistes libéraux tels Bentham et Smith, affirme que les échanges commerciaux entre pays, en créant des liens d’interdépendance, favoriseraient les bonnes relations et empêcheraient les guerres. Cette promesse est illusoire. Au début, chacun y gagne, mais s’il advient qu’à l'initiative d’un des partenaires commerciaux, les règles qui régissent le commerce international sont bafouées, alors vient la fragilité.
Les économies sont devenues tellement imbriquées que l’un des partenaires peut faire beaucoup de mal aux autres. Dans une situation de rivalité géostratégique, une telle dépendance peut même se révéler fatale, si elle mène à une incapacité de produire des biens essentiels, comme les médicaments, de maîtriser les technologies fondamentales, ou d’assurer l'autonomie de sa défense.
Plutôt que de subir cette situation, organisons notre riposte. Ne persistons pas dans une fuite en avant en essayant de signer des accords tous azimuts avec d’autres pays et ensembles commerciaux, comme on l'entend actuellement dans les couloirs de la Commission et du Parlement. Au contraire, bâtissons la souveraineté industrielle européenne en adoptant sans délai un puissant Buy European Act, permettant à tous les acheteurs publics, mairies, collectivités, régions, États et entreprises, d'imposer comme critère d’achat la fabrication à 100 % sur le sol européen, tenant compte de la chaîne de valeur dans sa totalité. La Commissaire Teresa Ribera prépare actuellement un projet de Clean Industrial Act, pour soutenir la transition bas carbone et le développement des énergies propres et renouvelables. Reprenons-en l’esprit mais avec une portée plus large et une ambition bien plus élevée, en permettant à l’ensemble de nos entreprises stratégiques d’obtenir de puissantes subventions publiques.
Il faudra aussi se doter de moyens financiers à la hauteur de cette ambition, par un changement d'échelle du budget européen, qui devra être appuyé sur de nouvelles ressources propres : taxe sur les transactions financières, récupération des ressources fiscales évaporées dans les paradis fiscaux, impôt sur la fortune des milliardaires, et pénalités imposées sans faiblir aux oligarques du numérique, qui bafouent les règles de liberté et d'indépendance des médias, en infraction avec le Digital Services Act.
Face à la démondialisation imposée par Trump, il faut agir, plutôt que de subir. Comme nous l’avons proposé avec Raphaël Glucksmann lors des élections européennes, saisissons ce moment pour faire de l’Europe autant un grand continent de producteurs qu’un grand continent de consommateurs, avec pour moyens la construction de notre souveraineté industrielle européenne et de notre indépendance énergétique, et pour objectif la défense de notre modèle social, notre ambition écologique, et notre prospérité européenne.