Droits de douane : ma réaction dans Alternatives économiques

« S’ils nous imposent un droit de douane ou une taxe, on leur impose exactement le même niveau de droit de douane ou de taxe, c’est aussi simple que ça », déclarait Donald Trump le 13 février dernier.

Sur le papier, l’idée des droits de douane « réciproques », qui doivent être concrétisés par la Maison-Blanche mercredi 2 avril, paraît simple : œil pour œil, dent pour dent. Ce qui, dans la vision trumpienne du commerce comme d’un jeu à somme nulle, équivaudrait à un principe « équitable pour tout le monde » et dans lequel « aucun pays ne pourra se plaindre ».

« C’est effectivement une idée simple et qui, de prime abord, paraît de bon sens, analyse Alan Hervé, juriste spécialiste du commerce international et responsable du master Europe et affaires mondiales à Sciences Po Rennes. La réciprocité est un principe simple, vendeur politiquement, et qui paraît assez logique. En réalité, il marque une rupture absolument radicale avec la façon dont on a organisé les échanges internationaux et les droits de douane jusqu’à présent. »

Une transgression du principe de non-discrimination

De fait, le concept de droits de douane réciproques s’oppose frontalement à l’un des piliers de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : celui dit de la « nation la plus favorisée », déjà présent dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt), signé en 1947.

Ce principe cardinal de non-discrimination contraint les Etats membres de l’OMC à accorder à chaque pays tout avantage qu’il accorderait à un Etat tiers. En clair, si Washington applique des droits de douane de 10 % sur les voitures européennes, il doit en principe appliquer le même taux aux voitures australiennes.

Ce principe n’est certes pas absolu : il peut ne pas être respecté dans le cadre des accords de libre-échange, qui permettent d’accorder des avantages spécifiques à un partenaire, ou encore dans le cadre de sanctions liées à des conflits commerciaux. La mise en place de droits de douane réciproques ne constitue toutefois pas une exception, mais bien une transgression totale de ce principe de non-discrimination. Trump, qui qualifie l’échéance de mercredi prochain de « grand jour » (« the big one »), ne s’y trompe pas.

« Cette décision équivaut à une sortie de fait du système multilatéral, estime Alan Hervé. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de barrières douanières très élevées, on a mené des cycles de négociations pour réduire ces droits de douane et les appliquer de façon non-discriminatoire, dans une logique générale d’équilibre. Là, on contredit tout cela en introduisant cette logique de réciprocité. »

Si certains espèrent que cette transgression pourrait paradoxalement inciter les poids lourds du commerce international à relancer les discussions multilatérales à l’OMC afin de bâtir ensemble un système plus équilibré, la plupart des observateurs s’attendent à ce que ce changement de paradigme crée un chaos sans précédent.

Une application secteur par secteur ?

Reste à connaître le contenu précis des mesures que doit annoncer Donald Trump le 2 avril. En se basant sur une simple moyenne des droits de douane appliqués par ses principaux partenaires commerciaux, on peut de prime abord imaginer que le mouvement de réciprocité américain ne sera pas très impressionnant.

En effet, si l’Inde fait figure de cas particulier, avec des tarifs de 17 % en moyenne sur les produits importés sur son territoire en 2023, la Chine n’affiche que 8 % et l’UE moins de 5 %, de même que le Royaume-Uni ou le Japon.

Mieux encore, entre l’UE et les Etats-Unis, « les niveaux de droits de douane entre les deux blocs sont relativement similaires » analyse Le Grand Continent. Pondérés par le volume des échanges, les droits appliqués par l’Union sur les produits américains s’élèvent à 4,2 % pour les produits agricoles et à 0,9 % pour les produits non agricoles.

Donald Trump a néanmoins émis l’idée d’appliquer ces droits de douane réciproques secteur par secteur, citant en particulier l’exemple des droits de douane de 10 % appliqués par l’Union européenne sur les voitures importées des Etats-Unis, contre seulement 2,5 % côté américain.

Cependant, parvenir à répliquer des tarifs secteur par secteur pour tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis représenterait une tâche titanesque. D’après les calculs du Wall Street Journal, un tel travail pourrait prendre plus de six mois, alors que plus de 200 personnes travaillent sur le dossier. La mise en place de ces droits de douane sectoriels devrait logiquement être reportée, rapporte la presse américaine.

Pour l’heure, la Maison-Blanche semble surtout vouloir se concentrer sur les partenaires avec lesquels les États-Unis accusent les plus gros déficits commerciaux en matière de biens, et s’atteler à prendre en compte les barrières non-tarifaires.

Dans son viseur, a priori, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou encore les réglementations de l’Union, notamment en matière de numérique. Là encore, le calcul s’annonce ardu. Rien que dans l’UE, les taux de TVA diffèrent d’un pays à l’autre : alors qu’elle est à 20 % en France – et encore il ne s’agit que du taux normal, mais ils existent plusieurs taux réduits –, la taxe atteint 17 % au Luxembourg ou encore 27 % en Hongrie.

Un climat d’incertitude inédit

Face à cette situation incertaine, la Commission européenne reste prudente. Bruxelles a ainsi reporté la première salve de contre-mesures prévues pour répondre aux tarifs douaniers américains de 25 % sur l’acier et l’aluminium, dans l’idée de réaliser un tir groupé.

« Pour l’instant, la stratégie de la Commission est la même que lors du premier mandat de Donald Trump, analyse Jean-Marc Germain, eurodéputé socialiste membre de la commission du commerce international. On répond œil pour œil dent pour dent sur les produits qu’on considère comme pertinents pour le faire renoncer à sa politique tarifaire, avec l’idée sous-jacente que le libre-échange crée la prospérité. »

« Mon analyse est différente, poursuit le socialiste. Je suis convaincu que Donald Trump a besoin de ces droits de douane pour réduire voire supprimer l’impôt sur le revenu américain. Il faudrait donc plutôt se préparer à ce que les droits de douane augmentent de partout par mécanisme d’action et réaction, et donc se concentrer avant tout sur la protection de nos entreprises européennes. »

Le projet de droits de douane réciproque, qui s’ajoute aux nombreuses sanctions, annonces et renoncements déjà formulés par le président américain, crée en tout cas déjà un climat d’incertitude jamais vu parmi les décideurs économiques.

« Il ne faut pas sous-estimer la possibilité d’une stratégie de long terme reposant sur cette instabilité, analyse Alan Hervé. En créant le désordre, Donald Trump espère sans doute avant tout convaincre les entreprises étrangères de s’installer aux États-Unis. »

Bien que de nombreux économistes doutent de la réussite de cette politique et pointent le coût pour les consommateurs américains, cela ne semble, pour l’heure, pas arrêter le milliardaire.



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