Droits de douane de Trump : ma tribune dans Liberation
Depuis l’annonce par Donald Trump d’une hausse des droits de douane sur l’acier et l’aluminium européens dès le 12 mars, et une extension programmée à l’ensemble des exportations de biens européens, un flou plane sur la réaction de l’Union européenne. Celle-ci privilégie habituellement la négociation et les mesures de rétorsion ciblées, et rechigne à faire adopter des droits de douane équivalents. Or, y renoncer relèverait d’une mauvaise analyse du nouvel ordre commercial international vers lequel nous nous dirigeons.
L’erreur serait de voir ce réarmement tarifaire comme rien de plus qu’une tactique pour arriver à d'autres fins, comme obtenir des Européens des concessions sur la législation sur les services numériques (DSA) ou des promesses d’achat de gaz et d’armements américains. En réalité, cette politique est centrale au programme et à la vision du monde du président américain, et tous les signes suggèrent qu’elle est là pour durer.
D’abord, Trump a toujours été obsédé par le déficit commercial des États-Unis et convaincu que la hausse des tarifs douaniers est le meilleur outil pour y remédier. Peu lui importe que ce déficit soit structurel, contrepartie nécessaire du rôle du dollar comme monnaie de réserve internationale. Les droits de douane imposés lors de son premier mandat n’avaient d’ailleurs aucunement réduit le déficit commercial des États-Unis.
Ensuite, Trump a annoncé vouloir abolir l’impôt sur le revenu. Et pour compenser les pertes de recettes, il a besoin de l’argent des droits de douane. Derrière cette idée se cache son admiration pour William McKinley, président des États-Unis de 1897 à 1901. Celui qu’il surnomme le « roi des droits de douane » dirigeait un État fédéral qui tirait 50 % de ses revenus des droits tarifaires. Pour Trump, ces taxes, qui sont le « terme le plus beau du dictionnaire », permettraient le retour à l’âge d’or des États-Unis, où l'État se finançait sans avoir recours à l’impôt progressif. Les pressions internationales ne freineront en rien ce qu’il voit comme un levier de politique intérieure.
Enfin, les droits de douane sont aussi un moyen pour le président américain de mettre en scène sa force autant à domicile qu'à l'extérieur. Ils lui permettent de marquer des points politiques auprès de son électorat clé, la tranche pauvre de la population américaine qui se sent dépossédée par la mondialisation. Et brandir la menace de la guerre commerciale sert également à intimider ses présumés adversaires pour leur faire des demandes extravagantes allant au-delà de considérations purement commerciales.
C’est ainsi qu’il exige de l’UE l’abrogation de la TVA, qu’il assimile à tort à un droit tarifaire de 20 %, puisqu’elle s’applique aussi aux produits européens, et qu’il fustige les sanctions de la Commission contre Apple pour infraction aux règles de la concurrence. Or, négocier sur la TVA ou sur l’application du droit européen serait un abandon de souveraineté inacceptable pour l’UE.
Espérer en découdre par la négociation est illusoire et ne permettra pas de faire revenir Trump sur son désir de réarmement tarifaire. Le Canada et le Mexique ont bien dû s'y résigner, eux qui avaient espéré faire infléchir les États-Unis en misant sur un durcissement de leur politique migratoire. Finalement, ils n’auront que légèrement retardé la date de mise en application.
Lors du premier mandat de Trump, malgré un accord politique de principe, aucune négociation n’avait abouti pour lever les droits de douane imposés à l’UE sur l’acier et l’aluminium. Pour ce second mandat, il est encore plus difficile de croire en une quelconque volonté de compromis chez les Américains, alors que J.D. Vance a déclaré une véritable guerre idéologique à l’UE lors de la conférence de sécurité de Munich, et que Trump a affirmé que le bloc avait « été conçu pour emmerder les États-Unis ».
Trump ne jure que par le rapport de force : il faut se prêter à son jeu ou en subir les conséquences. De maigres concessions ne seraient que perçues comme un aveu de faiblesse, invitant d’autant plus d’invectives et de chantage. La seule riposte qui vaille est donc l’instauration, par l’UE, de droits de douane équivalents.
Non seulement des mesures moins musclées ne feraient pas infléchir Trump, mais renoncer à la riposte tarifaire reviendrait à subir une pression intolérable sur les producteurs européens, pesant sur l’emploi, les revenus et les salaires, alors que l’Europe risque déjà la récession. Le prix à payer à court terme est une pression inflationniste, mais c’est le seul moyen de protéger les Européens tout en rééquilibrant le rapport de force transatlantique.
Il y a là aussi une opportunité. Des droits de douane miroirs de 25 % sur les importations de biens américains augmenteraient de 50 % les recettes du budget européen, alors que l’UE a plus que jamais besoin de ressources propres pour financer le Pacte Vert, y compris le récemment dévoilé Clean Industrial Deal, et l’effort de défense accru suite à l’abandon américain de l’Ukraine. Quelle meilleure riposte à la collusion entre Trump et Poutine que de se servir des ressources ainsi mobilisées ?
La guerre commerciale généralisée qui s’enclenche marque la fin de la mondialisation ouverte sur laquelle l’Europe fondait sa politique commerciale. Avec une part des échanges dans son PIB plus élevée que la Chine et les États-Unis, l’Europe ne voyait que des gains : en efficience, en accès aux marchés et en pouvoir d’achat. Mais elle a été aveugle à l'enjeu stratégique et sécuritaire du commerce, et découvre aujourd’hui ses dépendances, exploitables par des régimes hostiles.
L’UE doit repenser sa politique commerciale face à l'usage coercitif des droits de douane, la restructuration du monde en blocs et ses engagements sous l’accord de Paris. Cela implique un rapatriement de toutes les productions possibles et une réindustrialisation décarbonée du continent. L’heure est au grand décroisement des flux !
Le doux commerce est une douce illusion. Faisons d’un mal – les décisions brutales de Trump – un bien : priorisons en Europe, le second marché du monde, le Make in Europe et le Buy European, pour développer notre industrie verte, créer des emplois et garantir notre sécurité et notre modèle social.